D.L.
: Voilà. On vient de voir un extrait du "Coup de torchon". Le "Coup
de torchon" c'est le dernier film de Bertrand Tavernier.
Je dois dire, pour la vérité historique, Bertrand Tavernier, que lorsqu'on
a commencé à parler de cette émission avec Daniel Balavoine, il voulait
vous rencontrer, mais il ne savait pas que votre film sortait au moment
de cette émission.
D.B. : Ce qui est tout à fait vrai.
Bertrand Tavernier : Ce qui prouve que la publicité me paraît très
bien faite.
(Rires).
B.T. : On le dira à l'attaché de presse...
D.B. : On y avait pensé longtemps avant.
D.L. : Daniel, il faut nous expliquer pourquoi vous vouliez rencontrer
Bertrand Tavernier ?.
D.B. : Des explications.
Je dois dire qu'au départ...j'espère que ça ne le choquera pas... que ce
n'est pas pour des raisons cinématographiques, c'est venu peu après. C'est
l'envie de le rencontrer.
Quand j'ai vu "L'horloger de Saint-Paul", je me suis dit que ce serait intéressant
de parler avec quelqu'un qui a fait ça. Entre "intéressant" et "avoir envie",
ce sont deux choses complètement différentes.
Un jour, je vous ai vu. C'était aux "Césars". Il y avait un prix qui était
remis à un cinéaste italien qui n'avait pas pu venir et c'est vous qui êtes
venu chercher le prix.
B.T. :C'était à Losey...
D.B. : Voilà. Oui, c'était à Losey plutôt.
Et alors, vous êtes venu en disant "...oui, ben écoutez, voilà, je vais
le prendre puisqu'il n'est pas là...", et il y a eu toute une explication
qui n'en était pas une et qui m'a fait rire et qui m'a...je ne sais pas...
j'ai trouvé ça bien.
Il y a des choses qui rendent les gens attirants. C'est un peu bêta à dire
mais il y a des choses qui font que l'on est attiré par quelqu'un. Une simple
attitude fait que tout d'un coup on peut avoir, en plus d'y trouver de intérêt,
avoir en plus envie de rencontrer cette personne.
C'est cette toute petite chose je crois qu'il y a eu dans une émission cinématographique.
Le même genre de gag involontaire. Cet espèce d'attitude complètement renfermée,
un peu embarrassé, leur dire "...écouter, si vraiment il faut le faire...bon...on
va y aller... vous voulez vraiment que je vous en parle...".
D.L. : Daniel, on peut dire deux mots du film, puisque vous l'avez
vu il y a quelques jours.
D.B. : Moi je l'ai vu et j'ai trouvé ça... Bon, on ne va rentrer
dans les tubes de pommades parce que sinon, on n'en sort plus.
C'est un film qui m'a mis extrêmement mal à l'aise. J'étais avec des personnes,
dans une petite salle de projection, qui étaient extrêmement mal à l'aise
aussi. Après, selon les goûts, les réactions peuvent être différentes.
Moi, j'aime le malaise parce que je trouve que quelqu'un qui arrive à provoquer
le malaise chez les gens et qui dérange, c'est automatiquement le départ
d'un réflexion.
C'est comme la différence entre quelqu'un qui dit "Je t'aime" et quelqu'un
qui dit "Je ne t'aime pas". Quelqu'un qui dit "Je t'aime", ça ne dérange
personne, on trouve ça formidable et ça n'a pas besoin d'autres explications
que ça. On dit "Je t'aime". Point. Alors que quand on dit "Je ne t'aime
pas", oui, mais "Pourquoi ?.", "Quelles sont les raisons ?.". Et le malaise...
B.T. : Comment dire ?. Je voulais casser l'image que l'on a un petit
peu de moi, qui est une image par moment sympathique, gentille, et tout...
C'est peut-être vrai. J'ai voulu un peu la mettre un peu en danger et parler
de choses dures, difficiles. En parler avec dérision, avec humour, avec
cocasseries.
J'avais l'impression, après une semaine de vacances, que les gens m'avaient
étiquetés. J'ai voulu tout d'un coup échapper à ça. Ce n'est pas la première
fois que je faisais ça. Je l'avais déjà fait dès "Que la fête commence",
dès "Le juge et l'assassin".
Je voulais encore plus y échapper. Faire un film qui soit très libre. Qui
soit un film selon mon coeur, qui ne se rattache pas à un genre, à une catégorie,
à un certain style et qui tout en faisant rire, provoque en effet une certaine
forme de remise en question, de malaise.
D.B. :Enfin le malaise...si on peut encore parler un peu du film...le
malaise qu'il y a là-dedans... je pourrais presque plus te l'expliquer à
toi (s'adressant à Didier Lecat) parce que je ne sais pas si tu as déjà vu le film ou si tu vas le voir...
Le film montre le bien que croit faire quelqu'un qui tue. En fait, on aime
bien le mec qui tue.
B.T. : Moi, je l'aime beaucoup.
D.B. : Je sais qu'il y a des matins où je me suis levé en me disant
"... si je pouvais me le faire parce qu'il m'énerve pour une raison ou pour
une autre...".
On a l'impression à ce moment là que le fait de tuer n'est pas si vilain
que ça. On s'habitue à Noiret, dans le film, qui est comme ça.
D.L. : Avec toutes les ambiguïté du personnage.
D.B. : Alors que tous les gens qui s'engueulent, pour un oui ou pour
un non, qui sont en fait de vrais méchants et qui ne font de mal à personne,
qui tapent simplement, qui frappent.
Il y a un gars qui frappe sa femme, qui frappe son esclave. Bon, il frappe.
Ca ne va pas loin.
D.L. : Ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est qu'on peut expliquer
à un cinéaste ce que l'on a compris. Il peut répondre. Alors que l'on ne
peut pas demander à Shakespeare de répondre sur ces pièces.
B.T. : Hugo a essayé de faire parler par tables tournantes
D.L. : Oui, c'est vrai. Je crois que c'est intéressant de voir comment
quelqu'un ressent un film, par rapport à ce que l'on voulait faire.
B.T. : J'aime bien les explications de gens qui sont dans le spectacle
mais qui ne sont pas forcément dans le même métier que moi.
Je trouve qu'il y a une autre forme de sensibilité, une autre forme d'approche.
Et ça, ça m'intéresse.
Les explications de Daniel Balavoine, je les accepte.
Je suis encore trop près de mon film pour savoir exactement ce que j'ai
fait. Et si je l'ai fait, tout le monde me demande de définir ce film. Les
gens me disent, il est inclassable, essayez de définir.
Si je l'ai fait, c'est justement parce que pour moi aussi je voulais explorer ça, je voulais essayer de trouver. Pour moi aussi c'était un petit peu inclassable.
Je ne connais pas très bien les raisons. Je ne sais pas exactement quoi
penser du personnage principal. Il y a des jours où je l'aime énormément.
Je dis, c'est peut-être une boutade, si j'ai fait ce film, c'est une des
manières de m'empêcher, sinon de tuer quelques personnes, du moins d'essayer
vraiment de les démolir.
Et je me sens très très proche de ce que fait Noiret dans le film tout en
étant complètement horrifié par ce qu'il fait. C'est...
D.B. : C'est dur...
D.L. : Si je peux mettre mon grain de sel...
D.B. : Oui, d'accord. Mais le plus rapidement possible parce que
là on dépasse... (humour)
D.L. : Excusez-moi. Je trouve que vous êtes deux non conformistes.
Peut-être que ce qui est intéressant c'est de savoir que ni Daniel Balavoine,
ni Bertrand Tavernier n'ont envie, lorsqu'ils ont réussi de faire quelque
chose, de refaire la même chose.
Quand vous faites un film, vous essayez de faire autre chose, complètement
différent, quitte à prendre d'autres risques, de faire un autre cinéma.
B.T. : C'est plus marrant.
D.L. : Daniel, vous faites un peu pareil.
D.B. : Je fais un peu pareil.
D.L. : Vous vous remettez en cause facilement.
D.B. : C'est à dire que moi je suis hélas et en même temps content
d'être limité musicalement.
Je n'ai jamais appris la musique donc je commence à sentir où est la frontière,
la limite qui va devenir une frontière pour passer à autre chose.
B.T. : Moi, je n'ai même jamais appris à lire.
D.B. : Ca peut servir...
D.L. : Vous savait lire les contrats ?.
B.T. : A peine, à peine.
(Rires)
D.L. : Et les scénariis ?.
B.T. : Je me les fais traduire... (Rires)
D.L. : Vous lisez les contrats ou les scénariis ?.
B.T. : C'est très difficile. Je ne sais pas lesquels. Je me les fais
dicter.
D.B. : Mais le remise en question c'est ce qui fait qu'on vit.
Il y a des choses étonnantes chez Bertrand c'est vouloir tout remettre en
question mais par contre souvent avec les mêmes gens. C'est à dire avec
Aurenche, Noiret, Rochefort.
Tout refaire...
D.L. : C'est vrai ça. Il y a la bande à Tavernier ?.
B.T. : C'est une famille. Je ne sais pas si c'est la bande. Elle
devient large maintenant. Il va falloir acheter un château pour s'y mettre
tous.
D.L. : Pensez aux impôts nouveaux...
B.T. : Oui, justement, c'est très mauvais en ce moment. On va rétrécir
les effectifs. C'est vrai qu'on travaille bien avec les gens de la même
famille.
Moi, j'ai besoin de gens qui me fassent rire, et que je fais rire aussi
de temps en temps quand j'arrive à placer une plaisanterie pas trop stupide.
J'ai besoin de gens qui ont de l'humour.
Les gens avec lesquels j'ai travaillé, que ce soit mon chef opérateur, mon
monteur, que ce soit une partie des comédiens, notamment tous les comédiens
qui étaient dans "Coup de torchon", ce sont des gens qui me font beaucoup
rire, qui ont un sens énorme de l'humour, de la dérision. Ca, ça me plaît
beaucoup. Ca coupe toute solennité, tout danger de sérieux de se prendre
la grosse tête.
Par contre, ce qui est bien c'est de ne pas se conforter, se dire que c'est
bien, que l'on est une petite bande, continuons comme ça. C'est, à chaque
fois, repartons pour quelque chose de différent. Tout le monde est obliger
de commencer un film comme si c'était le premier et de commencer un plan
comme si ce plan était le plan moteur, le plan essentiel du film. Et ça,
je trouve que pour moi, c'est très important. Ca donne une atmosphère de
passion, d'enthousiasme qu'il y a sur le film. Je crois que c'est vrai et
que c'est pour ça que les acteurs aiment travailler avec moi.
D.L. : Vous êtes content de la façon dont vous travaillez!. Pas de
problème !
B.T. : Je suis très content. J'ai pleins de doutes tout le temps.
D.L. : Vous êtes allé de la critique à la non-autocritique.
B.T. : J'en fais tout le temps de l'autocritique. J'ai une autocritique,
elle est psychosomatique. Ce n'est pas une angine que j'ai en ce moment, à la veille de la sortie du film. C'est ça ou c'est d'être malade comme
un chien à la veille du premier jour de tournage. C'est d'avoir des moments
de doute et d'avoir besoin de gens qui me réconfortent tout le long, pendant
le tournage. Il y a des moments, je crois que c'est épouvantable.
D.B. : Sans compter que ça ne s'appelle pas faire de la non-autocritique.
Ca veut dire simplement avoir le sentiment de faire du mieux que l'on peut
et avoir le sentiment de faire quelque chose d'extraordinaire.
Ce sont deux choses différentes. D'après ce que j'ai compris.
Moi, je parle de ça à l'aise parce que je me sens souvent comme ça. Je fais
un disque et ce qu'il en sort, je sais pertinemment, à deux ou trois erreurs
près, que c'est ce que j'ai pu faire de mieux à ce moment là. Ca ne veut
pas dire que c'est mieux que le reste. Ca veut dire que c'est le meilleur
de moi-même. C'est tout. Ce n'est pas un manque d'autocritique. Je crois
que c'est plutôt bien.
On a tout intérêt à être content de soit parce que sinon, on n'est pas nombreux
des fois.
B.T. : Il y a des moments où la modestie, c'est aussi la pire forme
d'orgueil.
D.L. : C'est vrai.
B.T. : Non, je dis simplement que les films que j'ai faits, j'ai
tous voulu les faire passionnément.
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